L’association entre un artiste et une marque est risquée. Le public ne raffole pas de ce genre de partenariat tout simplement parce qu’il interprète généralement que l’artiste a vendu son âme pour des intérêts financiers. Cela dit, beaucoup d’artistes se sont lancés par eux-mêmes dans la course aux marques et dans certains cas, cela fonctionne très bien : Jay Z, grande figure du rap américain, se revendique carrément business man et lance sa marque de vêtement (Roca Wear) et la revend quelques années plus tard pour une somme colossale. Russel Simmons, Lady Gaga, Kanye West, même des français comme Joey Starr se lancent. Cela dit, ces « superstars » n’ont pas les mêmes mesures que les artistes en développement.
L’art en général a toujours été associé aux marques de par leur identité visuelle et sonore, les logos et les jingles restent des éléments créatifs d’une marque, quelle qu’elle soit. On ne peut certes pas comparer un jingle et un titre de Jeff Buckley mais on peut comparer les processus qui ont abouti à la création sonore. L’idée est de faire passer une émotion surtout à l’heure où les consommateurs sont inondés de messages publicitaires. On sait que « 75% du public évite activement la publicité, que ce soit à la télévision, sur Internet ou en affichage » (Mary, 2010) et donc que la communication traditionnelle perd en efficacité. Les annonceurs cherchent à diversifier leurs méthodes de communication avec les consommateurs. C’est en leur donnant accès à du contenu, en se tournant vers la création et les créateurs qu’ils peuvent réussir à les atteindre de manière innovante. Cela dit, la part du poste musique sur budget marketing des entreprises n’est que de 5% alors que « 86% des consommateurs sont intéressés par les marques qui enrichissent leur produit par des offres liées à la musique, comme des téléchargements, le support de festivals ou d’événements live » (Mary, 2010). L’impact que possèdent les stratégies de « brand content » est logiquement plus fort que celui du poster quatre par trois dans les couloirs de métro :
« En diffusant du contenu, notamment musical, les annonceurs divertissent le consommateur, ils le poussent à « chercher » lui-même un marketing qui lui plait, une marque qui lui ressemble, un univers commun » (Blue Acacia, 2013)
Comme dit précédemment, les artistes sont des vecteurs naturels d’émotions et de sensations sur lesquelles les marques souhaitent s’appuyer pour faire passer des messages. L ‘enjeu est de faire correspondre les valeurs qu’elles souhaitent véhiculer dans leurs messages avec les valeurs de l’artiste. Il ne faut pas pour autant cannibaliser le travail de l’artiste en le comparant à un maillot de sportif sur lequel on colle des logos. Il faut qu’un partage de valeurs existe et soit clairement établi pour que le partenariat soit réussi et bénéficie à tous : c’est une relation triangulaire où la marque saura innover dans sa manière de communiquer et transmettra les valeurs affectives qui lui correspondent à travers le travail de l’artiste. L’artiste lui, aura bénéficié de canaux de diffusion qui ne lui sont habituellement pas réservés, d’un financement (ou contribution financière) et touché des territoires plus difficiles d’accès. Enfin, le public aura la satisfaction d’expérimenter un contenu innovant et souvent exclusif. La marque qui souhaite s’associer à un artiste n’emploie pas la même stratégie que lors de la vente d’un produit ordinaire, avec une vision commerciale. Il ne s’agit pas d’une campagne de communication traditionnelle où les objectifs de retour sur investissement sont tangibles ; dans le meilleur cas, il ne s’agit pas d’une action nécessitant des retours sur investissement mais d’une action de mécénat. Le partenariat doit en effet être bénéfique à tous et se conçoit comme une relation réciproque avec un accord sur les objectifs et les valeurs qui sont communiquées.
Il ne faut pas penser l’artiste comme un porte-manteau. La chanteuse Rihana s’est faite l’égérie d’une dizaine de marques différentes : Venus Gillette, LG chocolaté, Cover Girl, etc. Les partenariats avec les marques perdent en cohérence, en efficacité face au consommateur (voir les photographies précédentes). On parle souvent de l’ADN d’une marque qui est l’ensemble des codes, valeurs et images qui la composent. Cet ADN doit être analysé afin de comprendre si une coïncidence peut exister entre les valeurs de l’artiste et celles de la marque. Les meilleures associations l’ont souvent été car le partenariat à abouti à une création commune entre l’artiste et la marque : la marque finance, certes, mais participe également au processus de création. Elle apporte sa touche autour de l’œuvre de l’artiste ou, inversement, l’artiste intègre la marque dans sa réflexion artistique ; l’idée étant de créer un contenu exclusif pour célébrer l’association. Il faut que les consommateurs de la marque et les fans de l’artiste ne fassent plus qu’un, c’est d’ailleurs généralement le point de départ de ces partenariats. Aujourd’hui le contact entre l’artiste et ses fans n’a jamais été aussi direct. Le rôle des réseaux sociaux est pour beaucoup dans le changement de la nature de cette relation. Grâce à Facebook ou Twitter, l’artiste peut entrer en communication instantanément avec ses fans et réciproquement, les fans peuvent réagir spontanément à des actions menées par l’artiste. D’un point de vue stratégique, c’est dans la monétisation de cette relation que l’artiste trouvera de nouveaux revenus et que la marque trouvera de nouveaux supports de communication. De plus, la tendance du « tout illimité » qui s’est généralisée chez les consommateurs (de par l’avènement des nouvelles technologies : streaming gratuit, téléchargement illégal) fait que ces même consommateurs aspirent à plus de contact avec leurs idoles, plus d’émotions et plus d’expériences autour de l’artiste (32) .
Le groupe Français anglophone The Do a synchronisé son titre « on my shoulder » avec la publicité télévisée de la marque Oxford, bien avant la sortie de son album prévue quelque mois après la diffusion de la publicité. Résultat, la synchronisation fut un beau succès pour la marque et le groupe s’assure une belle promotion pour anticiper la sortie de son album ! En France toujours, Petit Bateau parie également sur une artiste en devenir, et réussit son coup avec la campagne Izia et Petit Bateau avec un enchainement des photographies de l’artiste Izia Higelin depuis sa plus petite enfance jusqu’à ses performances scéniques actuelles. C’est dans création de contenu exclusif et innovant que l’artiste et la marque trouveront ensemble la voie d’un partenariat réussi. Ainsi, Hewlett-Packard s’associe à la chanteuse Gwen Stefani pour rajeunir son image et lui propose de créer un design sur le site internet de HP, permettant à l’utilisateur de personnaliser ses impressions. La marque Dim propose à travers son programme « Dim Loves Music » un jeu digital permettant de gagner des places pour des concerts de Feist ou Melissa Mars. Le groupe Korn compose un morceau spécialement à l’occasion de la sortie du jeu vidéo Haze d’Ubisoft en plus de synchroniser l’album complet à l’intérieur du jeu. Plus récemment, la superstar Jay Z réalise un nouveau coup de maître en vendant à Samsung un million de copie de son dernier album qui l’offrira en exclusivité, c'est-à-dire quatre jours avant sa sortie mondiale en téléchargement gratuit, à ses clients. L’artiste Français Cerrone avait utilisé la même stratégie quelques années auparavant en vendant 75 000 albums via les coffrets Bouygues Télécom avec Samsung. La Société Générale, elle, propose à ses jeunes clients via la carte de crédit SoMusic, et en partenariat avec Universal Music Entertainment, des tarifs réduits pour des concerts, des téléchargements en exclusivité et surtout des offres d’emplois et de formation liés au secteur musical. A l’instar du programme Esprit Musique de la Caisse d’Epargne (cf. Etude de cas en page 47), la marque SFR créé son programme SFR Live Pass proposant les mêmes types d’avantages à ses clients et propose en plus des soirées « brandées » Les Nuits SFR ouvertes à tous mais en avant-première à ses clients.
Les marques ont donc investi massivement le secteur musical à travers les artistes mais aussi à travers les festivals de musique : on sait que 73% des festivaliers émettent un avis positif sur la présence de marques en festival et qu’un festivalier visite en moyenne deux espaces gérés par les marques en festival (Nielsen Company, 2013). Des marques comme Nikon ou Jack Daniels investissent régulièrement les festivals d’été en France afin de se rapprocher de leurs publics et créer des espaces participatifs et interactifs pour divertir le festivalier avant l’heure des premiers concerts. Ainsi, le Crédit Mutuel est le sponsor officiel du Printemps de Bourges qui s’appelle dorénavant le Printemps de Bourges Crédit Mutuel, Harley Davidson est l’Eurofest Harley Davidson à Port Grimaud.
Les associations artistes et marques sont nombreuses aujourd’hui mais n’ont pas encore révolutionné le système. Il s’agit en effet d’opérations relativement ponctuelles qui ne peuvent que fonctionner ainsi. Cela dit, les marques l’ont compris, l’univers entier qui entoure l’artiste et sa création est un ensemble de produits consommables, tout au moins monnayables.
Ce post fait parti de l'écrit : "Comment les changements structurels de l’industrie musicale ont-ils transformé les stratégies de développement et les modèles de rémunération des artistes- interprètes ? "
{32} Didier J. Mary, fondateur de CyberSonic, «Marques et musique, enfin partenaire ?, par marketing-professionnel.fr, 6 Septembre 2010, http://www.marketing-professionnel.fr/tribune-libre/marques-musique-partenaires- 09-2010.html
{33} Blue Acacia, agence de communication, « Ces marques qui donnent le la », publié sur le site blueacacia.com, 2013, http://www.blueacacia.com/actualites/ces- marques-qui-donnent-le-la/
{34} Nielsen Company et CGA strategy, étude sur les festivaliers français publiée en 2013, voir ici